Philippe Delerm (1), né le 27 novembre 1950 à Auvers-sur-Oise dans le Val-d'Oise, est un écrivain français.

Depuis 1975, il réside en Normandie, à Beaumont-le-Roger (Eure), en compagnie de son épouse Martine, illustratrice de littérature jeunesse, avec laquelle il a un fils, Vincent Delerm, auteur-compositeur-interprète.

Philippe Delerm est l'auteur de divers recueils de poèmes en prose dont La Première Gorgée de bière et autres plaisirs minuscules (Gallimard, 1997) qui connut un immense succès.

Il publie ensuite plusieurs ouvrages, romans – Il avait plu tout le dimanche (1998), La Sieste assassinée (2001), Enregistrements pirates (2003) – nouvelles – L'Envol (1995) – essais – Les Chemins nous inventent (1999)... Il publie aussi des livres pour enfants.

Écrivain des petits plaisirs du quotidien et du bonheur, en 2015 il récidive avec "Les eaux troubles du mojito", dont il affirme que c'est un livre "solaire" et fera paraître en 2017 une œuvre autobiographique dont le titre est à lui même le programme : "Journal d'un homme heureux". 

(1) Wikipédia

 

La poterie, Brigitte H.

 

Le premier contact avec le matériau est pesant.

De combien d’argile a-t-on besoin ?

Que veut-on faire avec ?

Quelle idée la glaise marron et mouillée nous inspire–t-elle ?

Des deux mains on forme une boule de la taille d’un gros pamplemousse. Elles pétrissent le matériau, l’air qui se trouve à l’intérieur s’échappe, la terre commence à être malléable.  

On jette la boule avec élan sur la table. Elle s’écrase violemment sur le plateau de bois. Maintenant elle est plate comme une petite pâte avant de lever. On soulève l’argile plastique  et de nouveau on la forme de ses mains. On répète ce jeu  plusieurs fois, jusqu’à ce que la terre et la potière soient  dans leur élément.

Alors on modèle une boule parfaite et on la place sur un tour qui tourne lentement. Le secret est de  trouver le centre de la rotation. Les mains mouillées étreignent la boule souple. Le tour ronronne doucement et l’argile fait quelquefois un bruit de ventouse.  Au moment où les mains et l’argile sont en accord les pouces pénètrent dans la douce masse qui maintenant change de forme en tournant sur son plateau rond. Les mains bourbeuses s’unissent à l’argile  qui semble être vivante. Tantôt elle est plate et grosse et tantôt longue et haute. Les mains entourent la masse qui s’épanouit lentement et qui devient un vase ou un pot, une sculpture ou une chose inutile à l’usage– mais utile à l’âme.

L’argile sèche sur les mains et devient dure. Sa couleur change et perd son pittoresque. Les mains paraissent vieilles, ridées et sans vigueur. 

 

Le petit-déjeuner, Viktoria B.

 

 

On dit que le petit-déjeuner est le repas le plus important de la journée. Avec lui, un jour nouveau commence. Pour que celui-ci soit bien surmonté on doit prendre son petit-déjeuner comme un empereur, son déjeuner comme un roi et son dîner comme un mendiant. Mais cette règle est en général un mythe.

 

Néanmoins le petit-déjeuner reste une affaire importante. Pour ne pas dire presque déjà sainte. Et en tout cas très privée.

 

Bien sûr, cela dépend du temps du jour. Le petit déjeuner devrait être pris à une heure précise. À une heure tandis qu’il fait encore sombre dehors même si on peut entrevoir une légère aurore. Exactement le moment où les oiseaux déjà se réveillent mais sont encore beaucoup trop fatigués pour chanter. C'est exactement à ce moment magique que le petit déjeuner sa savoure le mieux. L’arôme du café frais chatouille le nez.

 

Sur le paquet on peut lire « Café Crème du Guatemala ». Est-il vraiment aussi bon au Guatemala ? Il est au moins « Faire Trade ». La conscience est rassurée. Quand la première gorgée parcourt la gorge, les nerfs gustatifs s’activent, le Guatemala est oublié. Seul le goût noir, magnifiquement ronflant, reste en mémoire. Un goût âpre. Un arôme fin. La première gorgée de café le matin est sans cesse un moment magique. Mais le petit déjeuner n’est pas pour autant complet. Le café cherche un complément. Les yeux fatigués, des mains nerveuses fouillent dans le sachet de tabac. Ils deviennent plus agiles. On doit être prudent. L’emballage n’est pas stable. Il parait légèr. Vide presque. Mais non. L’emballage contient encore trois cigarettes. Soulagement. Le contenu est sorti. Mais il manque encore un briquet. Aucun n’est à disposition. Dieu merci, il y a la cuisinière à gaz. La première bouffée est vite aspirée. Avec cela une deuxième gorgée de café. La combinaison est habituelle. Le goût de la fève noire et le picotement du tabac brun. Le petit déjeuner des poètes et des penseurs. Même si l’odeur de tabac est dissuasive.

 

On est seul avec soi-même.

 

 

La première chute de neige , Franziska S.                       

 

On le peut déjà sentir dans l’air. Il y a cette ambiance calme, ce silence tendu où règne le vent hivernal, ce vent froid qui joue avec les arbres nus ayant perdu leurs feuillages de couleur rouille il y a quelques semaines. En cette période de fin d’année, quand on quitte la maison, on met un manteau d’hiver, des gants qui nous gardent au chaud et au sec et une vieille  écharpe éprouvée, car tout cela nous protège pour être préparé, pour être capable de lutter contre le froid glacial.

Mais aujourd’hui, le ciel est différent et ce n’est pas seulement le ciel, ce sont aussi les plantes, le grand air, la terre et les animaux qui semblent attendre quelque chose de spécial.

Tout à coup, le conte d’hiver commence ; jamais on ne peut voir quelque chose d'aussi silencieux et majestueux en même temps : le ciel mystique et gris envoie le premier flocon de neige qui, comme une petite ballerine russe, enchante en dansant en direction de la terre avec son tutu blanc. Comme elle semble infiniment longue, la danse du flocon de neige ! Une fascination infantile envahit l’esprit, le froid glacial et le vent mordant sont oubliés pendant un moment indéterminé, on doit tomber en arrêt car on ne peut pas s’empêcher de fixer ses yeux sur le flocon gracieux, comme dans un état de transe.

Il y a quelque chose d’enfantin dans ce plaisir  rare de la première chute de neige qui nous met un sourire sur le visage. Peut-être est-ce parce qu’on commence à revivre des souvenirs d’enfance : Quand on avait attendu, désespéré, le premier flocon de neige pour faire un bonhomme de neige ou pour faire de la luge.  Ce bon vieux temps ! – aussi fugace qu’une comète dans la nuit.

Et pendant qu’on se laisse aller à rêver, le ciel envoie un deuxième flacon vers la terre qui danse sa propre danse, seul et indépendant du premier flocon. Avant que les deux ballerines se couchent sur l’herbe gourde, elles sont déjà suivies par trois, quatre, cinq- on ne peut plus les compter !- petites danseuses blanches qui, ensemble, s’unissent et deviennent une couverture céleste sur l’herbe qui peut se cacher la première fois de l'année.

Doucement mais sûrement, le paysage tombe dans le sommeil de la Belle du Bois dormant, un sommeil calme et magique qui nous porte à oublier la tristesse de la vie quotidienne. Comme la neige, aussi blanche que du sucre glace, brille comme des milliers de diamants ! C’est l’hiver dans sa forme la plus pure, dans sa forme la plus divine- un bonheur évanescent.

Le soleil de printemps, Laura D.

Le soleil de printemps provoque en moi une sensation extraordinaire – être réveillée le matin par les premiers rayons de soleil arrivant par la fenêtre est une métaphore de la vie pure. Fini les jours tristes et gris, arrivé le temps de recharger nos batteries – la chaleur du soleil suscite de l'espoir et de la joie de vivre. Il fait rêver à de nouveaux débuts, anime à prendre son destin en main et à vivre la vie pleinement. Le soleil réveille la nature comme il réveille mes esprits et l'esprit de toute la ville – il fait même sourire et siffler les gens les plus maussades, il les fait s'épanouir comme des tulipes, il nourrit notre désir qui a tant souffert tout l'hiver.
D'autres aiment en profiter dans des petits cafés ou sur leurs balcons - moi, je préfère en profiter dans mon lit le matin. La journée commence bien.

Mes charentaises
J'emmène mes charentaises partout où je vais. Que ce soit pendant un long voyage ou juste pour une nuit chez ma mère – porter mes charentaises roses me donne un sentiment de sécurité et d'intimité. Rentrer chez moi le soir après une journée dure et échanger mes bottes par ma belle paire de chaussons me fait souffler. Mes charentaises représentent mon chez moi, ma zone de confort. Je prends mon chez moi partout avec moi. Glisser dedans fait disparaître le stress de la journée, la tension, les insécurités.
Je prends mon chez moi partout où je vais – ils font même des chambres d'hôtel froides un lieu de détente, je me sens à l'aise. Tout le monde devrait en avoir une paire.

La Clarinette, Julia H.

 

Son corps gracile est fait en bois de grenadille marron foncé presque noir. Elle se compose de cinq éléments qui sont reliés les uns aux autres car les différentes parties ne peuvent fonctionner qu’ensemble. C’est comme une toute petite famille en soi, l’embouchure fixée sur le barillet qui la raccorde avec les deux éléments du corps et le pavillon. Ses clés en argents étincèlent  dans la lumière comme des étoiles dans la nuit et font un contraste parfait avec la couleur du bois sombre. Au début la clarinette semble lourde et froide, mais elle adopte la température de mes doigts et de mon haleine après quelques secondes. Avant de choisir un morceau de musique, j’échauffe l’instrument aussi que mes doigts en jouant des gammes et des triples accords ce qui sert aussi à me mettre dans l’ambiance.  Après cette routine, je mets mes papiers sur le pupitre, j’adore l’apparence de la notation musicale. Cette écriture cryptée me donne le sentiment de comprendre le secret de la musique. La portée qui héberge la clé, les rondes, les blanches, les croches et les soupirs forment la base de mon bonheur. Mes yeux aperçoivent les notes décolorées sur les vieux papiers, mes doigts commencent à bouger sur les clés de la clarinette et le son chaud s’établit dans ma chambre. Cet instrument oblong me permet non seulement de transformer mes sentiments en mélodies mais aussi de créer mon propre univers musical, dans lequel il n’ y a ni soucis ni dérangement. En jouant, je ne suis plus la jeune femme qui rêve de devenir professeur, mais je suis une clarinettiste passionnée qui est devenue une seule et même chose avec son instrument. Mais il y a quelque chose que j’adore encore plus que d’être seule avec ma clarinette – c'est faire partie d’un orchestre. Tous les musiciens et leurs instruments contribuent au son, chacun donne le meilleur de soi-même et les différentes voix s’unissent pour former un tout. Les répétitions sont souvent fatigantes et elles durent quelquefois jusqu’à la nuit, mais quand le soir de concert est venu et les lumières sont allumées, tout est oublié. La seule chose qui compte c’est de faire de la musique ensemble. L’ambiance excitée nous fait jouer encore  mieux que lors des répétitions et quand les spectateurs applaudissent mon bonheur est complet. 

Hiver : plaisir minuscule, Samia D.

Hiver. Un mot court et simple cependant, lourd dans sa description et qui me fait penser à un grand nombre de choses en même temps. L´hiver est une saison froide, parfois glaciale, qui dure assez longtemps dans l´année, mais qui occupe une place chaude dans mon cœur. Détesté par les uns et aimé par les autres, cette période évoque en moi un bonheur indescriptible que j´aimerai partager avec le monde, avec ses pays, endroits où la chaleur règne chaque jour et qui ne connaissent point le sentiment du froid sur les mains, sur le visage et sur le corps.
Mais dans ce désespoir intense l´attente devient encore plus longue. Jours après jours le désir que tout se couvre de neige, de poudre blanche, augmente sans cesse. Il  n´y a pas de plus belle sensation que de s´installer dans un endroit chaud,  près d'une fenêtre par exemple et de contempler un ciel triste qui semble pâle à plein d'yeux  mais qui me rend impatiente de le voir enfin pleurer ses larmes blanches.
C´est dans cette attente, que j´inspire ce parfum sucré, épicé et doux à la foi, que m´apporte ma tasse de thé à l´arôme  vanille-cannelle.  A chaque instant de sa dégustation, se crée en moi une sensation douce et relaxante.  J´observe alors avec curiosité  les larges flocons de neige qui daignent tomber lentement du ciel, recouvrant tout de blanc, les arbres, les voitures, les toits des maisons. Il n´y a rien pour moi de plus fascinant, de plus marquant,  que de sortir de  ma maison pour retrouver la neige, cette neige glacée, si pure et vierge, que nul n´a encore touché, sur laquelle nul n'a marché.  

Maintenant tout autour de moi me paraît monotone, les rues sont mortes et les villages endormis, comme dans un rêve.  

Le vent siffle, il est agité et agressif à la fois, autant que ce froid glacial qui frappe mon visage pourtant presque entièrement recouvert et protégé par mon écharpe.

Je marche sur cette fine couche de neige blanche, lisse et brillante, presque poudreuse et qui me rappelle rien de plus que du sucre glace et qui reflète un rayon de soleil souffreteux, à peine visible.

J´écoute avec attention les petits craquements sur cette neige si belle, des « critch » silencieux,  que l'on n'entend même pas si l´on n´y prête pas attention.

J´aime tellement ces petits bruits. Ils m´apaisent et me donnent le désir de marcher et  de ne plus m´arrêter, surtout lorsque je suis la première à laisser mes empreintes de pas sur cette surface blanche. Mais ce son léger est tellement singulier qu´il a quelque chose de frémissant et d´étrange à la fois, ce qui me rend encore plus attentive à ses craquements.