Georges Perec (1) naît à Paris de parents juifs polonais, tous deux décédés durant la Seconde Guerre mondiale : son père au front en 1940, sa mère déportée à Auschwitz en 1942. Georges Perec passera son enfance entre Paris et le deux V entrelacés de W ou le Souvenir d’enfance, Villard-de-Lans et Lans-en-Vercors. Après des études de lettres, où il rencontre Marcel Bénabou, il devient documentaliste au CNRS et publie ses premiers articles dans Partisans. Il publie son premier roman, Les Choses, en 1965, qui, « sociologique » de facture flaubertienne est couronné par le prix Renaudot. En 1966, il publie un bref récit truffé d’inventions verbales, Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ?, et entre l’année suivante à l’Oulipo ("Ouvroir de littérature potentielle"), dont il devient l’une des figures majeures. Il expérimente toutes sortes de contraintes formelles  : La Disparition (1969) est un roman écrit sans la lettre e (lipogramme)  ; Les Revenentes (1972), où la seule voyelle admise est le e. Son roman le plus ambitieux, La Vie mode d’emploi (prix Médicis 1978), est construit comme une succession d’histoires combinées à la manière des pièces d’un puzzle, et multiplie les contraintes narratives et sémantiques. L’œuvre de Perec s’articule, semble-t-il, autour de trois champs différents  : le quotidien, l’autobiographie, le goût des histoires. Le jeu est toujours présent, tout comme la quête identitaire, et l’angoisse de la disparition.

(1) Source : http://oulipo.net

 

Tout au long de sa vie, G. Perec s'est beaucoup attaché à faire l'inventaire des lieux qu'il habitait ou traversait pour remettre en cause leur fausse évidence et/ou garder une trace de leur évolution dans le temps. C'est à cette interrogation sur notre rapport ambigu et aveugle à l'espace qu'est entre autre voué Espèces d'espaces. Partant du lieu qui nous est le plus individuel par excellence - le lit - G. Perec poursuit alors sa quête par cercles excentriques en s'ouvrant à sa chambre, sa rue, son quartier, sa ville pour finir enfin sur l'espace monde.

 

 

Une chambre au bord de la mer, Kathrin H.

J’aime la mer. Elle symbolise la liberté – la liberté des pensées, de l’esprit et des sensations. C’est pour cette raison que j’y retourne toujours: soit pour me reposer, soit pour trouver de la consolation, soit pour dénouer une situation difficile. C’était ainsi dès ma petite enfance. La mer – seule fenêtre à travers laquelle un Allemand de l’Est avait la chance de regarder – d’imaginer une issue à l’étroitesse de sa vie derrière les frontières. Je garde des souvenirs très vivants de «ma chambre-tente» sur une île de la mer Baltique – lieu favori de ma jeunesse.

 

Camping Bansin, Usedom. En août au début des années quatre-vingts.

Je suis assise sur un matelas pneumatique vert et vieux qui se trouve dans une «tente dans la tente». C’est une espèce de couchette. Les «murs» sont faits dans une étoffe brune, mais d’un ton clair, presque de couleur de chair; et la grande tente qui enveloppe la «cabine-couchette» est beaucoup plus foncée – comme un manteau protecteur. A ma gauche, il y a une poche latéral avec des livres et des journaux et à ma droite – le matelas de ma sœur. Tout au fond, au chevet de la couchette, se trouve une autre poche avec une lampe de poche dedans. Sur mon matelas un sac de couchage bleu pâle  (piqué de grands carrés). Quand on ouvre le zip de la cabine de couchage le regard se pose d’abord sur une table de camping en aluminium dont la surface est bleu métallique. Sur la table il y a une lampe à pétrole devant une fenêtre en plastique. La table est placée sur un tapis quadrillé ayant fait son temps et dont on peut à peine deviner les couleurs. La fenêtre en plastique porte la marque d'une brûlure causée par la lampe à pétrole (souvenir d’une soirée où on a joué aux cartes sans faire attention à la lampe). A côté de la table (à gauche) se trouve une mini-cuisine avec un réchaud à gaz. (Tous les nos plats était accompagnés de pommes de terre en robe des champs dont les restes ont attirés parfois les sangliers de la forêt.) La bouteille de gaz se trouve derrière un rideau de tissu à fleurs (cousu par ma grand-mère qui était couturière). Je me souviens aussi d’une cafetière jaunâtre qui a perdu sa couleur d’année en année. La forme de cette cafetière et des tasses correspondantes me paraît si claire que je pourrais la dessiner sans peine.

 La chambre-tente au bord la mer: j’y ai dormi en août trois semaines par an avec ma famille. Cette année-là, c'était une des dernières vacances que ma sœur et moi avons passé avec nos parents à l’époque. C’était au début des années quatre-vingts, et je venais d'avoir mon bac. C’était l'époque où on pouvait acheter des melons une fois par an pendant une journée. Pour moi, le monde était ouvert et pas ouvert en même temps.

 

C’était la fin des années où les groupes de musique ABBA (Mamma Mia, Fernando, Chiquitita) et SMOKIE (Living Next Door to Alice, Lay back in the arms of someone) conquirent les hit-parades. La veille de la pérestroika on pressentait déjà des changements. La liberté s’annonçait. Mais personne ne pensa, personne ne put penser à la chute du mur de Berlin.

 

A l’époque j’ai décidé d’apprendre à jouer de la guitare. J’ai couru beaucoup sur la plage, je me suis promenée au bord de la mer, et j’yai nagé (Pour m’entraîner: il y avait des mythes de bons nageurs qui avaient eu la chance d’arriver à l’autre côté de la mer.). Là, j’ai aussi rêvé d’apprendre des langues et de choisir un métier qui pourrait faire oublier les frontières. Je me suis demandée ce qu’il y avait de l’autre côté de la mer: en Suède, pays d’origine d’ABBA dont j'aimais beaucoup la chanson «The Winner takes it all».

 

Étendue sur mon matelas je sens les myrtilles et la pinède. Le soir, j’écoute les chansons d'un guitariste sur la plage. Je perçois ce sentiment d’être proche des autres, séparée seulement par des murs en tissu. Le matin, les bruissements du campings me réveille: le cliquetis de la vaisselle, les voix des enfants, les oiseaux dans les arbres, le mugissement marin; et aussi les odeurs: un mélange d’arômes de cafés, de pomme de pins et de dentifrice.

 

Et c’est toujours la mer qui accompagne mes rêves.

 

 

Ma chambre de tous les jours, Nico D.

La chambre est une pièce d’une habitation où se trouve un ou plusieurs lits dans lesquels on dort, le plus souvent pendant la nuit. Cette pièce est en règle générale à la maison et fait donc partie de son chez-soi, mais elle peut aussi être quelque part ailleurs, comme par exemple dans un hôtel, dans une auberge ou chez des amis. Beaucoup d’étudiants de l’université de Goethe ont leur chambre dans un logement à Francfort où ils dorment durant la semaine avant de rentrer à la maison le week-end. Ce qui n'est pas mon cas.

Lorsque l’on ouvre la porte de ma chambre carrée, ma grande armoire est presque tout de suite à droite. A l’intérieur de ce meuble se trouvent toutes sortes de vêtements, parmi eux quatre chemises rayées, cinq vestes, trois anoraks pour bien me couvrir en hiver, mon beau maillot de bain avec ma grande serviette arborant la coupe du championnat du monde, toutes sortes de pantalons, parmi eux des jeans bleus, gris ou marron clair et mes shorts de sport. De plus, à gauche de la porte ouverte, il y a mon placard particulier qui enferme un grand choix de T-shirts, de pulls et, ce que j’aime le plus, tous mes pulls en polaire que je porte au moins deux fois par an dans les Alpes pour marcher dans la montagne. Comme mes pulls ne quittent leur place dans mon placard que pour partir en congé, ma joie à la perspective de la prochaine destination de vacances s’intensifie proportionnellement chaque fois que je les vois.

Très exactement au milieu de mon mur gauche, il y a mon bureau en bois, tout équipé avec une petite lampe et mon ordinateur portable. En y faisant - bien sûr avec plaisir - mes travaux universitaires, je peux profiter d'une vue exceptionnelle dans la vallée de Leimbach avec ses vastes prairies et sa nature.

En face de mon bureau, à droite dans ma chambre, il y a mon lit, un meuble rectangulaire plus long que large sur lequel se trouve un matelas agrémenté d’un drap, d’une couette, d’une couverture et d’un oreiller moelleux. J’aime mon lit parce que ce meuble représente, selon moi, surtout pour dormir, un endroit douillet et confortable. Autour de mon lit se trouve mon beau canapé sur lequel est posé une couverture qui me tient chaud quand je m’y allonge pendant la journée. De plus, juste à côté de mon lit, il y a mon réveil, qui est de la plus haute importance parce qu’il garantit que je me lève à temps.    

Ma mémoire exceptionnelle me trahit exactement toutes les chambres dans lesquelles j’ai déjà dormi. Lorsque j’étais malade pendant mon enfance, j’ai parfois dormi dans la chambre de mes parents, dans leur lit conjugal. Ce faisant, je me sentais toujours à l’aise parce que mes parents s’occupaient chaleureusement de moi. C’est pourquoi, de nos jours, cette chambre m’évoque encore le sentiment d’être bien-aimé. Par ailleurs, une fois quand j’étais enfant,  j’ai dormi dans une tente avec mon frère et mon meilleur ami dans le jardin de notre maison. Ce fut une grande aventure inoubliable, non seulement à cause des matelas pneumatiques absolument inconfortables, mais aussi parce que, soudainement, il a commencé à faire de l’orage. Après avoir vu dix grands éclairs dans le ciel noir comme un corbeau, nous avons commencé à avoir peur et nous nous sommes enfuis en courant le plus vite possible jusqu’à l’intérieur de notre maison, tout en étant poursuivis par les fortes tonnerres. J’ai alors compris que personne n’a de chance réelle de se révolter contre la puissance des forces de la nature. De plus, dans le cadre des voyages scolaires à Naples ou en Toscane, j’ai dormi avec jusqu’à sept membres de ma classe dans une seule chambre dans des lits en mezzanines. Comme nous nous sommes racontés beaucoup d’histoires amusantes, je suis sûr de ne jamais oublier ces chambres-là. Dernièrement, j’ai aussi bien gardé en mémoire toutes les chambres où j’ai dormi en vacances. D’un côté, en vacances, souvent je n'arrive pas à m’endormir la première nuit à cause de la clarté de la chambre, de l'autre, j’aime énormément me coucher dans mon lit après une longue randonnée fatigante en montagne. La conclusion que l’on peut tirer de ce paragraphe est que beaucoup d’activités exceptionnelles ou de souvenirs inoubliables se construisent souvent quand on ne dort pas dans sa chambre.

Mais, malgré ce fait-là, il me faut constater que c'est dans son lit et dans sa chambre que l'on dort le mieux. A mon avis, la chambre ne sert pas seulement de lieu pour dormir, mais aussi de refuge et appui. Par conséquent, la chambre est le lieu qui marque ma sphère privée et a donc une plus grande signification. C’est pourquoi je suis d’avis que ma chambre représente mon chez-moi, le lieu où je peux échapper à toutes mes charges et corvées de la vie quotidienne. De plus, je suis convaincu qu’on est toujours bienvenu dans sa chambre et que l’on peut toujours y aller sans se faire de souci. Par conséquent, je suis obligé de constater que ma chambre est peut-être le lieu le plus important de toute ma vie.

Comme on n’a qu’un lit, on n’a aussi qu’une chambre dans laquelle on se sent à l’aise en profitant de différentes valeurs importantes comme la chaleur, l’amour ou le sentiment de sécurité. Cela me fait avouer que j’aime énormément ma chambre parce qu’elle est aussi de la plus haute importance en ce qui concerne ma vie quotidienne. Son caractère indispensable s’appuie sur le fait que je vis dans ma chambre : J’y dors, j’y mange, j’y bois, j’y fais mes travaux universitaires et j’y fais parfois du sport. Tous ces faits montrent que ma chambre a une fonction universelle dans ma vie. En revenant sur sa grande importance, il me faut souligner aussi que, surtout dans ma chambre, je réussis à réactiver ma mémoire. C’est-à-dire que j’ y ravive les souvenirs les plus fugaces, aussi bien les plus essentiels que les moins importants. C’est pourquoi je suis d’accord avec Georges Pérec qui utilise, dans ce contexte, l’expression de « l’espace ressuscité de la chambre ».

 

Ma grande chambre mansardée, Lena D.

Je n'y étais pas depuis un certain temps. Mais quand-même, c'est un de ces endroits où il suffit de fermer les yeux et de se concentrer un peu pour pouvoir en décrire presque tous les petits détails : la position de la porte et des fenêtres, la disposition des meubles. Même les détails comme l'emplacement des livres ou la couleur des coussins me viennent à l'esprit quand je pense à cette chambre.

Lorsqu'on ouvre la porte de la chambre, un escalier étroit s'élance vers le grenier. En face de l'escalier, on tombe sur une toute petite cuisine avec un évier et deux plaques chauffantes. C'est seulement en se tournant de l'autre côté, qu'on s’aperçoit de la taille réelle de la chambre, qui est démesurée.
La partie gauche est mansardée. Les deux petits velux ne laissent pas pénétrer beaucoup de lumière. C'est surtout la grande fenêtre à droite qui éclaircit la chambre avec les rayons du soleil. Le mur de droite est vertical. Au fond, il y a une table noire avec les deux chaises sur lesquelles j'ai mis mes affaires avant de me coucher. A gauche, le lit. Ce n'est pas vraiment un lit, plutôt un matelas sur des palettes de bois. A côté, une table de nuit. Au bout, une très vieille télé. Sous le pan du toit, il y a de l'espace pour mettre un placard bas mais très long. Au sol, il y a de la moquette. Il n'y avait pas de fauteuil, mais un autre matelas tout petit sur une palette pour s'installer avec des invités.

J'étais en vacances, je venais de finir mon semestre à l'université. Comme il faisait froid dehors, je trainais beaucoup ici. Tous les matins, je buvais du thé chaud après avoir cherché des croissants à la boulangerie du coin. Je me souviens que c'est dans ces mois-là qu'on a commencé à beaucoup parler de la fuite des Syriens. En prenant mon petit-déjeuner, je regardais donc les infos.

Mes souvenirs tournent surtout autour de la grandeur de la pièce, des peintures accrochées aux murs, des livres étalés sur le sol et surtout des soirées avec les amis : ces semaines-là, j'ai invité mes amis presque tous les soirs. On buvait du vin rouge, on grignotait des „cochonneries“ et on discutait de tout et de rien. Quelques-uns passaient même la nuit chez moi. On était une grande famille. Et cette chambre-là, c'était notre bercail.

 

Verrières-le-Buisson (Île-de-France); De l'automne 2014 à l’été 2015, Hannah R.


La chambre est située au rez-de-chaussée d’une maison de trois étages. Quand on ouvre la porte, on aperçoit d’abord le lit et une fenêtre. La chambre est plutôt étroite, d’une largeur d’environ deux mètres et d’une longueur de quatre mètres. Sous la fenêtre (et à côté du lit) il y a une petite table de nuit et dessus un verre d’eau, une lampe et souvent un bouquet de fleurs. En face du lit se situe un bureau très ancien. A sa gauche se trouve une porte vitrée avec vue sur le jardin. Dans l’angle une armoire ou je range mes habits et en face une étagère avec beaucoup de livres. Adossé au mur près du bureau est posé une guitare acoustique, qui, je me souviens, tombait souvent. Grâce à la porte vitrée et la fenêtre, la chambre était toujours très lumineuse.
Un aspect amusant : Tous les weekends quand j’avais enfin la possibilité de dormir plus longtemps, je voyais en me réveillant une grimace effrayante au-dessus de moi ; c’était le visage de Thibault à travers la fenêtre du salon donnant dans ma chambre et près de mon lit.
J’ai passé neuf mois dans cette chambre. Je venais de passer mon bac professionnel et pour le valider j’ai travaillé dans un jardin d’enfants. J’avais décidé de séjourner quelques temps en France parce que je voulais améliorer mon français. Pendant ce séjour j'ai logé dans une famille d’accueil et en échange je me suis occupée de leurs deux garçons. Ma chambre était pour moi le seul endroit ou je pouvais me retirer et être seule dans ce lieu étranger.
Je me souviens avoir passé beaucoup de temps dans cette chambre au début, parce que c’était fatigant pour moi d’être confrontée à une nouvelle langue et une nouvelle situation.


Ce fut cette année-là que Poutine a annexé la Crimée. Ce fut un scandale en Europe et partout on en parla : à table avec la famille, dans la rue, les journaux, à la télé etc. Je me souviens d’en avoir parlé le soir avec les parents de la famille d’accueil.

 

Tous les matins je me réveillais avec le bruit de la famille qui prenait le petit
déjeuner. Je savais alors que je devais me lever, malgré ma fatigue. Ma motivation était l’odeur du café ; j’allais alors les retrouver dans la cuisine.

Une nouvelle journée commençait, avec la routine habituelle, mais quand même je me réjouissais. Après ma tasse de café je me sentais prête.

Je quittais la maison pleine d’énergie et j’étais heureuse de rentrer le soir et de le passer avec les garçons.

La journée se terminait en lisant une histoire aux garçons dans mon lit.