De 1985 à 1992, après s'être installée du côté de Cergy-Pontoise dans l'ouest parisien, Annie Ernaux (1940 - ) a tenu un Journal du dehors où elle a transcrit "des scènes, des paroles, des gestes d'anonymes, qu'on ne revoit jamais, des graffitis sur les murs, effacés aussitôt tracés" pour tenter de fixer sur le papier l'essence de son époque. 

Toute tendue à ne pas se mettre en scène elle-même, à pratiquer "une sorte d'écriture photographique du réel", une "écriture plate" volontairement dépouillée à l'extrême de tout affect et "fioritures" pour laisser aux personnes et choses vues leur opacité, elle concèdera pour finir le caractère vain de son entreprise. Et de citer alors dans son prologue J.J. Rousseau, qui, bien qu'ayant construit comme elle une grande partie de son œuvre à partir de matériel autobiographique, affirma pourtant: "Notre vrai moi n'est pas tout à fait en nous". Du paradoxe.

 

Chez le vétérinaire, Hannah R.

La porte ouverte au rez-de-chaussée donne sur la salle d’attente du vétérinaire. La salle est peinte en blanc et paraît stérile et morte. À la fenêtre il y a une guirlande lumineuse qui égaie les couleurs froides : rouge, jaune, vert et bleu. Un monsieur, la trentaine, est assis juste en face de la porte. Il ne s’est pas déshabillé, il porte son manteau, une écharpe et un bonnet gris. À ses pieds se trouve un grand et vieux chien. D'une main, il lui caresse la tête machinalement. Sur l' autre main il appuie sa tête. Le maître et l’animal font l’effet d’être la même personne ; de la même manière absente, tous les deux regardent dans le vide, les yeux à moitié ouverts et les lèvres entrouvertes. Tout à coup, le chien tend l’oreille. « Au suivant, s’il vous plaît ! » Le chien regarde son maître, qui regarde la vétérinaire. Puis, les deux se lèvent en même temps et disparaissent dans l’autre salle. La guirlande lumineuse clignote toujours. Toutefois, les couleurs brillent beaucoup plus chaleureusement.

 

"Des Mexicains au pays! Du moins ils ne se font pas sauter!", Mara O.

Jeudi matin, à un arrêt de bus en centre-ville. Un homme, la trentaine, portant une parka, attend debout. Il est ivre, semble-t-il. Dans sa main droite, il tend une bouteille de Sangria. L’homme parle avec lui-même. Sa voix devient de plus en plus forte. «  Il serait quand même pas mal d’avoir quelques Mexicains au pays. Du moins sont-ils mieux que les Argentins. Merci Mme Merkel ! Et Clinton, connard ! » Une jeune fille s’éloigne, de manière presque discrète. Il y a beaucoup d’autres gens qui attendent le bus et qui entendent parler l’homme. Ils focalisent tous leur attention sur lui. Sa voix n’est plus très claire, il arrive à peine à s’articuler. « Les pauvres Mexicains ! Mangeurs de chili. On en aurait bien besoin ici. C’est du sabotage ! Au moins ils ne se font pas sauter. » De plus en plus de gens  se déplacent, pas à pas. Il fait froid, c’est l’hiver. Le bus arrive. Presque tous les gens montent. « Au moins ils ne se font pas sauter! » Les portes se ferment et le bus part. L’homme se retrouve tout seul dans la rue déserte. Il titube, fait des chassés-croisés et bredouille quelques mots incompréhensibles, comme si il se résignait à son sort et à la solitude.

 

A Paris, Lena D.

Vendredi soir, dans le quartier Pigalle, une femme âgée, assise sur le trottoir, maigre. Elle a froid, semble-t-il, car ses doigts blancs s'agrippent à la couverture qui la recouvre. Devant elle, une petite boîte contenant quelques pièces d'argent. Les gens, la mine réjouie, passent et repassent autour d'elle. La plupart d’entre eux ne l’aperçoivent même pas. Tout-à-coup, une dame élégante – ses cheveux sont bien coiffés; sous son manteau épais, elle porte une robe rouge et des chaussures à talons – trébuche devant la vieille femme. La boîte se renverse et l'argent s'étale. Elle s'exclame : « Ne pouvez-vous pas faire attention ? Mon manteau est tout sale maintenant ! C'est vraiment impossible ! » La vieille femme s'excuse, penaude, le regard dirigé vers le bas. Un homme relève la dame et époussette son manteau. Ils partent. La vieille femme se met à ramasser la monnaie.

Le métro est bondé. Et pourtant, à chaque station des gens tentent leur chance, se coinçant dans la masse, pour pouvoir rentrer chez eux deux minutes plus tôt. Peu de gens sont assis. Ils sont concentrés sur leurs téléphones portables. Pour ne pas tomber, une jeune fille debout se tient à une barre. Elle a un sac en cuir sur l’épaule et des lunettes sur le nez. A côté d'elle, un homme grisonnant qui n'arrête pas d’éternuer. Finalement, il s’essuie le nez avec la main avec laquelle il se tenait. La jeune fille le détaille du regard, d’un air dégouté. Puis, elle lui tourne le dos. Au lieu de toucher la barre de la main entière, elle ne se tient plus qu'avec deux doigts.

Au supermarché, une jeune fille pose ses affaires sur le tapis roulant. Un déodorant et des rasoirs. L'homme d'un certain âge devant elle, la regarde et sourit. « Venez, je vous laisse passer. » Elle le remercie et passe devant lui. Le garçon qui était derrière elle se rapproche et pose ses chips et son coca juste derrière les affaires de l'homme. Le jeune est en train d'écouter de la musique très forte. L'homme se tourne vers lui et le regarde d'un air énervé. Il fait claquer la barre « client suivant » sur le tapis. « Ça suffit, non ? Recule un peu. Non seulement que tu te colles à moi, mais tu nous emmerdes avec ta musique ! »

L'homme au rat, Brigitte H.

Un matin d’un jour ouvrable. Dans le train régional direction Francfort il y a beaucoup de passagers  en route pour leur travail. Tout le monde est occupé : le portable, un journal ou un livre ou bien un entretien à voix basse avec le voisin. Une jeune étudiante prend des notes.

Le train s´arrête à une gare, d´autres passagers montent. Il n’y a plus de place assise pour eux.

Au dernier moment deux jeunes hommes sautent dans le train. On ferme les portes et le train part. Les deux jeunes semblent ne pas avoir dormi : Ils sont sales et mal soignés, ils ont des canettes de bière à la main et ils discutent bruyamment. Les passagers retiennent leur souffle. Les deux hommes dérangent le calme des voyageurs. On est mal à l’aise.

Tout à coup l’un des deux se dirige vers les passagers et d´une voix forte leur demande l’un après l’autre s´il ne pourrait pas lui donner quelque chose à manger. Non pas pour lui, mais pour son cher rat. Il traverse tout le wagon et s’adresse à chacun des passagers. Les gens semblent ne pas entendre, ils font semblant de dormir, ils ne réagissent pas. Quelques-uns quittent rapidement le wagon.

Maintenant  l’homme se dirige vers l’étudiante. Il s’approche d´elle  et la prie de lui donner une pomme pour son rat. L’étudiante reste très calme, ouvre son sac et cherche sa boîte avec les fruits. Elle prend un morceau de pomme et le donne à l’homme. Celui-ci met le bout de pomme sur son épaule en murmurant quelques mots pleins de tendresse. Un gros rat  sort du capuchon de son pull, s’assoit sur son épaule et avale avec un plaisir évident le morceau de pomme.

Le train arrive à la prochaine station et les deux hommes quittent le train avec leur bière et leur rat.

 

Journée ordinaire au prud'homme, Yvonne M.

La salle est ultra-moderne et la présidente a des airs de directrice d'entreprise, ses lunettes chaussées haut sur le nez. Elle fait la chasse aux portables et se plait à demander le silence << pour toute la journée, je ne le répèterai pas>>, menace-t-elle.

A gauche, une petite fille gratte des papiers avec application. Par bonheur, certaines affaires sont réglées sitôt l'appel.

Le public dans la salle subit plutôt que d'écouter.

Arrive un monsieur. L'avocate de la défense explique que le monsieur a travaillé comme un forcené et qu'on ne lui a pas versé ses commissions. L'avocate de l'entreprise, incisive, déterminée, est un brin agressive.

La présidente du tribunal n'arrive même pas à l'interrompre. Le monsieur, bras croisés, l'air avantageux et sûr de lui oscille bientôt comme sur un bateau en perdition.

Fausses notes de frais, abus de remboursements commissions abusives, il en fait de belles !

Qui a raison, qui a tort ? Rappelez demain à 14 heures pour avoir la décision.

Arrive un homme. Deuxième affaire. Il s'est fait renvoyer pendant sa période d'essai.

Il explique que sa situation sociale est délicate et qu'il a accepté n'importe quel contrat. Il veut un dédommagement et fait feu de tout bois :diffamation, éloignement du lieu de travail etc., mais il s'embrouille, hésite, s'emmêle dans des explications maladroites. Il semble bien malheureux, malgré sa pauvre colère.

Cas suspendu. Affaire suivante.

Arrive une jeune fille. L'avocat en face d'elle semble terrible : la mèche rare et teinte en noir corbeau, dos voûté, sourire sardonique. Il cède tout à la demanderesse. Plein d'humour et imprévisible. Étonnante affaire.

Aussi étonnante que la prochaine, celle d'un chef de cuisine, tout seul devant les juges. Il a travaillé plusieurs mois sans salaire mais son sort ne semble guère préoccuper l'employeur, qui ne s'est même pas fait représenter.

Affaire à suivre. La suivante. Un univers Balzacien.

 

No amore, Magdalena F.

Il est un quartier, au sud de Mannheim, où beaucoup de vieilles personnes habitent, quelques-unes parmi elles avec un partenaire, quelques-unes seules. Une petite dame corpulente aux cheveux blancs porte un sac avec des motifs de chiens et un sac à main accroché à son épaule. Elle se meut lentement et semble être contente, de par l’expression de son visage, mais elle est peut être aussi éblouie par le soleil bas qui brille. Quoi qu'il en soit, elle est calme. La dame se promène tranquillement quand tout à coup un monsieur aussi âgé qu'elle apparaît. Il commence une conversation avec la dame qui immédiatement perd son sourire et roule des yeux. Elle n’a pas l’air enthousiaste à la vue de cet homme. On a l’impression que la dame et le monsieur se connaissent mais que l’un n'éprouve pas les mêmes sentiments que l’autre : La dame s'énerve lentement, elle élève sa voix tremblante et gesticule d’une manière presque sauvage : «Pourquoi ne vous voulez-vous pas me laisser en paix ?! Ne pouvez-vous pas vous chercher une autre grand-mère pour la déranger ? Pourquoi moi ?! » Elle crie et, en faisant une geste démonstratif, lui signale qu'il doit partir. L’homme, élégant et charmant, ne fait que sourire à la dame et dit d’une voix calme quelque chose en italien : «Bella mia..  mio cuore.. ». Il lui demande si elle ne voudrait pas sortir pour un rendez-vous avec lui. A ce moment-là, la dame ouvre ces petits yeux verts et sa bouche, regarde l’homme avec horreur et crie une dernière dernière fois : «Je peux tout faire ! Tout ce que vous voulez ! Nettoyer la maison, cuisinier, faire la lessive.. tout le travail domestique.. Mais il y a une chose que je ne peux pas et je ne veux pas faire du tout !! NO AMORE !! ».

 

A la gare, Alexandre G.

Lundi matin vers sept heures à la gare du théâtre romain à Mayence. Il fait froid et les gens qui attendent leur train son vêtus de manteaux et de gilets. La respiration des passagers forme des petites nuages de condensation.
Un homme de soixante ans et plus s'assied sur la dernière place libre d'un banc placé sur le quai. Il porte un pantalon beige, une veste de la même couleur et des Penny Loafer en cuir marron. Devant lui il à placé deux valises, la plus grande est tenue fermée par une ceinture de couleur bleu, blanc et rouge. Sa tête est couverte d'un chapeau gris qui cache une partie de ses yeux. Seul son nez est visible est montre un rougeur qui n'est pas liée au froid. Chaque fois que l'homme ex-pire les gens autour de lui sentent son souffle d'alcoolique. Assit sur le banc il se pend en avant et mets ses coudes sur ses genoux. Il commence à se mettre le doigt dans le nez. Il n'est pas gêné par les gens assis à côté de lui. A un moment il s'arrête et examine ce qu'il vient de trouver. Il bouge son index pour se débarrasser de sa crotte de nez. Puis il n'y a plus rien sur le bout de son doigt. Il semble être content, les gens autour de lui pas du tout. Chacun semble examiner ses vêtements. Le train arrive et les passagers entrent. L'homme au nez rouge entre aussi et s'assoie sur un siège. Les places à côté de lui restent libre, les autres passagers restent debout.

 

Le mais doux / Zuckermais
Dix heures vingt le samedi matin. Comme tous les samedis, c'est jour de marché sur la place devant la cathédrale de Mayence. Les paysans des alentours et de plus loin vendent leurs marchandises. Des fruits, des légumes, des fleurs, des oeufs et beaucoup d’autres choses sont présentées sur les stands. Devant un stand de légumes huit à douze personnes attendent leur tour pour être servis. Tout à coup une femme se pousse devant les clients et essaye de gagner l'attention de la marchande. "Excusez-moi, pardon!" dit la femme avec un accent étranger. La marchande se tourne vers la femme: "Oui, comment?". "Vous avez aussi du mais sans sucre?" demande la femme. La marchande fronce les sourcils en entendant la question, "Que voulez vous?" répond-elle. "Eh bien, ici il y a écrit "Zuckermais" précise la dame et montre sur un panneau du stand. "Mais j'aimerais du mais sans sucre, du mais tout à fait naturel!" La marchande regarde d'une façon étonnée et répond qu'une telle chose n'´existe pas et que le mais doux c'est la même chose que le mais. Déçue la femme quitte le stand.

 

Dans le train, Franziska S.

Lundi midi, dans le train de  Friedberg à Francfort. Un jeune homme lisant un livre scientifique est assis sur un siège. Sur le siège d'à côte, il a posé un grand sac à dos noir.

A Bad Vilbel, une vieille dame accompagnée par un vieil homme monte, ils cherchent une place assise. Le jeune homme les voit, se redresse et met son sac à dos sur les genoux. La vieille dame et le vieil homme s’assoient à côte du jeune homme qui continue à lire. La vielle dame lève les sourcils et dit : « Vous savez que c’était évident de libérer la place, non monsieur ? » Le jeune homme la regarde, sourcille, hoche la tête et continue à lire de nouveau. Elle jette un coup d’œil au vieil homme qui répond : « Tu as raison, c’est évident. » La vielle dame se tourne encore une fois vers le jeune homme et dit : « Parce que vous avez seulement acheté un ticket pour vous, n'est-ce pas et pas pour votre sac à dos. Vous comprenez ? » Elle s’éclaircit la voix. « N’est-ce pas, Karl ? » Le jeune homme hoche la tête encore une fois, met son livre dans le sac à dos, se lève et s’en va. On peut le voir dans le couloir du train, cherchant une nouvelle place assise.

 

Journal du dehors, Annabella C. M.

 

Vendredi après-midi, dans un magasin de vêtements, une vendeuse plie d’une manière prudente et soignée des pull-overs en cachemire. Une cliente, d’environ quarante ans, élégante, s'approche et veut savoir où il faut s’adresser afin d’échanger des pantalons déjà achetés. La jeune vendeuse répond en souriant : « Bonjour madame. La caisse est là-bas. Ma collègue à gauche est responsable des retours mais malheureusement, je suis obligée de vous prier de vous mettre dans la file. » La cliente la regarde d’un air méprisant et se retourne sans dire un autre mot. La vendeuse qui a interrompu son travail pour renseigner la dame semble perplexe et irritée. Elle ne bouge pas pendant quelques secondes, puis recommence à plier les pull-overs comme avant.

 

Un jeune homme et une jeune femme sont descendus du bus en discutant sans arrêt. Elle a le visage rouge et il semble qu’elle va commencer à pleurer d’une minute à l’autre. Lui, paraît être frustré. Les autres personnes à l’arrêt de bus font mine de ne pas s’apercevoir de ce qui se passe. Le couple fait des efforts pour parler à voix basse mais on peut les entendre tout de même. « Le problème est simple. Tu ne veux pas me comprendre. J’en ai marre. »

 

Il est minuit et le tram est rempli de voyageurs. Quelques uns ont l’air fatigué et leurs visages sont marqués par une longue journée de travail. D’autres sont d’humeur débridée, étant donné qu’ils cheminent vers le centre ville pour faire la fête. Dans la masse, une fille fait énormément de bruit. Apparemment, elle est enlisée dans un conflit avec un jeune homme. « Laisse-moi tranquille et retourne-toi s’il-te-plaît. » demande le jeune homme. « Tu ne sais pas avec qui tu parles. Je vais te tabasser, connard. » crie la jeune femme qui semble complètement ivre. Les autres voyageurs rient et hochent la tête à cause de l'absurdité de la scène. Un autre homme, ne supportant plus le comportement de la fille, lui impose à haute voix de se calmer. Elle réplique par des insultes vulgaires et quitte le tram quelques minutes plus tard au grand soulagement des autres voyageurs. Le jeune homme qu'elle a incommodé par au début se tourne vers les autres et dit : « C’est incroyable. Et tout le monde se plaint toujours des hommes qui ne savent pas se tenir. »

 

La femme de ménage du centre commercial, Hannah J.

Samedi après midi, dans les toilettes publiques pour dames d’un centre commercial, la femme de ménage est assise derrière une table, une assiette pour les pourboires devant elle. Elle est petite, grise et difforme, ses cheveux sont poisseux. Dans l’entrée, une poignée de femmes fait la queue. Entre elles trouvent deux jeunes filles. Elles se racontent leurs nouveaux achats qu'elles portent dans une multitude de sacs étiquetés « Orsay », « H&M », « Primark » etc..  Une grande femme, habillée d’un manteau en laine beige, coupe classique, entre dans les locaux. La femme de ménage murmure son « Bonjour madame », regard vide, sans que l'expression de son visage change. La nouvelle arrivante ne répond pas et fait une grimace. L’odeur âcre du désinfectant ne peut pas masquer la puanteur pénétrante du lieu. Elle prend place dans la file d’attente. Cela avance lentement. Une autre femme, âgée, aux cheveux gris, revient des cabines avec sa petite fille. Elle doit la soulever pour que celle-ci puisse se laver les mains. En sortant elle s’interrompt un instant auprès de la femme de ménage, hésite, et part finalement sans laisser de pourboire. C’est le tour de la femme avec le manteau beige. Elle s’approche d’une cabine, s’arrête brusquement et rejoint la table de la femme de ménage. « L’état de la toilette est terrible ! Est-il possible de faire quelque chose? » La femme de ménage dirige son regard lentement sur elle. « Je nettoie les toilettes une fois par heure, comme il faut. C’est mon instruction de service. » «  Mais c’est vraiment insupportable, voyez vous-même ! » Dans la queue, on échange des regards. La femme de ménage se lève lourdement. Elle marche en trainant les pieds vers la cabine critiquée. Dans une main, pendant le longs du corps, elle tient un chiffon sale. Pendant un instant, on n’entend que le halètement de la femme de ménage. Elle revient à sa place, défroisse son tablier et adopte de nouveau son regard fixe. La grande dame revient des toilettes, se lave les mains et part. Elle ne daigne pas honorer la femme de ménage d’un regard. Celle-ci murmure son « Merci et bonne journée ». Une autre femme, habillée négligemment revient des cabines. Elle s’arrête devant la petite femme de ménage et fouille dans ses poches de pantalons. Une petite pièce de monnaie tombe sur l’assiette. Durant un instant, l’ébauche d’un sourire apparaît sur le visage ridé de la femme de ménage.